PERMANENT FATAL ERROR
LAW SPEED
Ruminance / Chronowax
Sortie: 19 Octobre 2004
Olivier Manchion, jadis bassiste et cofondateur d'Ulan Bator, trio auquel on doit certaines des plus belles aventures du rock de cette dernière décennie, présente aujourd'hui Law Speed, premier opus de son projet Permanent Fatal Error. Ce disque incandescent et ambitieux, libérant une musique en grand format, vient braver les clichés du tout numérique pour en appeler aux vieilles lois de la thermodynamique. Entre free-rock et post-jazz, folk et électronique, Law Speed propose un hors-piste à couper le souffle.
Analogique : le mot paraît bien suranné, et presque dérisoire en ces temps où le format numérique semble de plus en plus s'imposer comme une nécessité dans tous les domaines de la création artistique. L'enregistrement analogique – c'est-à-dire sur des bandes magnétiques de 8, 16 ou 24 pistes pouvant peser des kilos, sur lesquelles chaque partie/piste instrumentale doit être enregistrée d'un bout à l'autre, sans qu'il soit facilement possible d'en découper un fragment particulièrement bien exécuté pour le répéter ensuite aux endroits désirés – ne possède pas seulement un grain – une qualité sonore particulière, un caractère à la fois brut et chaleureux qui, pour certain, le rend irremplaçable: il replace au premier plan, et avant toute autre considération, le jeu, la répétition, ce que l'on pourrait appeler la pratique concertante. Avec l'ordinateur, on le sait, les processus de composition et de production se trouvent étroitement imbriqués ; l'analogique, au contraire, sans jamais exclure ni l'improvisation, ni la précision, oblige à d'abord travailler les morceaux horizontalement, les faire évoluer en les interprétant, se les mettre dans les doigts avant de songer à les graver : c'est la raison pour laquelle cette technologie reste aujourd'hui prisée de tous ceux qui considèrent que la musique excède la largeur d'un écran, ces virtuoses de la transe, des polyphonies/polyrythmies en fusion que sont par exemple Godspeed You!Black Emperor ou, de ce côté-ci de l'Atlantique (mais de l'autre côté des Alpes), les quatre musiciens de Permanent Fatal Error (PFE), emmenés par Olivier Manchion.
Autrefois, avec Ulan Bator, trio français dont seul le guitariste et chanteur, Amaury Cambuzat, poursuit désormais l'aventure, Olivier Manchion avait dessiné le futur du rock en plantant un studio dans une carrrière de craie. Aujourd'hui, il n'est pas plus question de nostalgie dans la démarche de PFE, mais au contraire d'aller de l'avant tous azimuts. La dynamique, l'impulsion, est l'une des caractéristiques essentielles de la musique de PFE, qui exploite toutes sortes de contrastes en les dépassant : électricité et acoustique, guitares cristallines et basses charbonneuses, sons concrets et harmonies, montées en puissance et moments d'accalmie. Surtout, elle dégage une énergie que le recours à l'enregistrement analogique – confié en l'occurrence à Lionel Darenne, ingénieur formé auprès de l'imperturbable Steve Albini – permet d'idéalement restituer. Lorsque l'on pense que des morceaux comme Blu ou Low.Law.Speed (dix minutes durant lesquelles la vitesse du son égale celle de la lumière), où s'enchaînent et parfois se superposent des motifs rythmiques complexes, souvent bancals, et des couleurs sonores tranchées, ont été enregistré en live, on ne peut être qu'impressionné par la prestance des musiciens en présence. C'est le propre des vrais artistes que de savoir tisser des réseaux d'affinités, provoquer des pics de créativité : à Reggio Emilia, la ville italienne où il réside aujourd'hui, Olivier Manchion (guitare acoustique, basse, voix, électronique) a su trouver les parfaits complices de ses recherches musicales panoramiques, en la personne du batteur Francesco Billét et du guitariste Giulio Vetrone, auxquels se joint le fidèle Nicolas Marmin (aka_Bondage), à la basse et à l'électronique.
La musique ne se limitera certes jamais à une simple performance technique, et celle de PFE est inspirée avant d'être simplement virtuose. On admire non seulement l'énergie qu'elle dégage, mais surtout le climat qu'elle parvient à créer sur ce disque – impeccablement présenté – dans lequel on est aspiré comme à l'intérieur d'une spirale sonore. Une immersion au cours de laquelle on a l'impression de croiser, unis dans une même recherche d'un rock libre, les mantras électriques des Swans et le folk hypnotique de John Fahey, les expérimentations électronique de l'ami erikM et le krautrock de Can (le solo de trompette de B.Side#2) ; Olivier Manchion fait d'ailleurs partie des musiciens français, triés sur le volet, qui accompagnent aujourd'hui sur scène Damo Suzuki, chanteur historique du groupe allemand. Une musique, en somme, conforme à cette profession de foi figurant sur la pochette : « We're a living sound.track.band We're playing and singing We're playing rock with acoustic guitars We're playing rock with electronics We're Deaf-Blues ». Sur ce disque haletant et radical, promesse d'un avenir engageant, l'enregistrement analogique à permis à PFE de retranscrire au mieux l'un de ses principaux atouts : le souffle.
auteur©David Sanson www.mouvement.net (disque de la semaine) novembre 2004
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